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T'as de beaux yeux, tu sais !

On le voit arriver de loin… et pourtant, c’est sans une once d’hésitation qu’il lance sa réplique insultante de banalité : « ton père est un voleur… il a pris toutes les étoiles pour les mettre dans tes yeux ». Le dragueur ordinaire, quand il n’insulte pas sa cible par dépit d’avoir été ignoré, assène sa tirade en mode premier degré sans effort, sans distinction… sans considération ou tout autre forme de respect. Comment est-on passé de l’art courtois à la pratique de la « drague » comme on prend dans ses filets une moule – merci pour l’analogie au passage - ?





Draguer, un art de ru(stre) :


D'où vient ce terme à priori peu ragoûtant pour évoquer la séduction ? A l'origine, un verbe dont le sens a dérapé. Dérivé du verbe anglais to drag, draguer, c'est "racler avec une drague, le fond d'un fleuve." Le dragueur est donc un marin, un pêcheur, chargé de récupérer dans son filet le fond des mer. Une analogie fort sympathique.


Le philologue et historien Jean Claude Bologne, professeur d'iconologie médiévale à l'ICART (Paris), s'est penché sur L'invention de la drague dans l'ouvrage du même nom. Dans ce passage, il évoque l'émergence du terme dans la connotation machiste que nous lui connaissons :


"Depuis près d'une heure, je draguais dans Montmartre." Tel est l'acte de naissance officiel du mot en littérature, en 1953 - même si, pour le narrateur d'Albert Simonin, la drague est une "virée", une déambulation sans objet qui n'a pas pour but de rencontrer de fille disponible. [...] Depuis les années 50, on distingue deux types d'approche amoureuse selon leur but, leur technique ou leur brutalité : la séduction, en quête d'une relation stable, joue sur le sentiment ; la drague cherche l'assouvissement immédiat d'un besoin sexuel."

Et de citer l'autrice Aurelia Briac dans son essai De la Drague de 1978 : "Draguer, c'est : n'importe laquelle. Une femme, un spécimen de l'espèce. J'ai envie de tirer un coup, dirait un homme s'il était franc et sincère."



Il vrai quand même que la masculinité méditerranéenne particulièrement pose question. Est-il acceptable de renoncer à porter un type de vêtement - on parle d'une robe, d'une jupe - de peur d'attirer les regards ? De se demander si ne pas répondre à un inconnu va être le détonateur d'une pluie d'insultes et nous faire craindre pour notre sécurité ? Subir une sorte de pishing in real life : un hameçonnage destiné à subtiliser à sa victime une part de sa dignité. La réponse est claire : NON !


Sinon, pour filer la métaphore aux relents maritimes, il y a le wokefishing, mot valise inventé et défini par Serena Smith pour le média Vice.


Le « wokefishing », pour faire simple, consiste à se faire passer pour quelqu’un ayant des opinions politiques et sociales progressistes afin de piéger des partenaires potentiels.

Le terme wokefishing résulte de l’association de deux termes existants: woke et fishing. Woke, dérivé du verbe wake signifie "éveillé". Il est défini par le dictionnaire américain Merriam Webster comme "être activement attentif à d'importants faits ou problèmes, notamment les questions raciales et l'égalité sociale". Un joli masque d'hypocrite visant pour le pervers narcissique, sous couvert d'ouverture d'esprit, à attirer sa victime dans ses filets.


Marquons une pause légère avec le bétisier des dragueurs les plus lourdauds. Le média Les Eclaireuses rapporte non sans humour les expériences hautes en couleur de nombreuses femmes victime d'avances bien lourdes... à prendre au second degré pour en tirer "les classiques de la drague de beauf"


Au détour d'un bar, de nos messages, d'un match Tinder, d'un DM Instagram, nous avons donc tous déjà croisé ce genre de personnes, bien plus douées pour l'humour que pour la drague, et ce genre de phrases, bien plus drôles qu'excitantes. D'ailleurs, cette méthode de séduction est utilisée à un point tel que certaines phrases sont devenues de grands classiques.[...]

Le géographe :

- "Est-ce que tu aurais un plan s'il te plaît ? Je me suis perdu dans tes yeux."

Le geek :

- "Tu t’appelles Google ? Parce que je trouve en toi tout ce que je recherche."

Le poète :

- "Tu n'as pas eu mal quand tu es tombée du ciel ?"

Le pragmatique :

- "Je me doute que tu ne parles pas aux inconnus, donc voilà : je me présente..."

Le phénomène de la drague bien machiste est-il universel en 2023, ou bien relève-t-il d'une particularité culturelle dont nous avons le bénéfice exclusif ?





L’art de draguer n’a pas sexe :


Tristan Champion, du blog barbapapa , a vécu en tant que français expatrié en Norvège où il a découvert une culture de la drague...à l'opposée de celle que nous connaissons. Une culture où les femmes ne se font pas siffler et sont invitées à faire le premier pas. Après avoir rencontré en Erasmus sa future épouse, il raconte sur son blog les méandres de la séduction à la norvégienne. Morceau choisi des travaux d'approches déconcertants pour le jeune homme :


J’allais payer l’addition : « Rechnung Bitte ! »
Louise avait déjà insisté : « on fait moitié-moitié ».
« Non mais ça me fait plaisir de t’inviter. »
« Non mais je préfère qu’on sépare l’addition. »
Le froid norvégien s’installait tout d’un coup. J’ai d’abord pensé à ma mère et au coup de fil que j’aurais pu éviter. Et puis c’était mauvais signe. Le mec invite toujours pour le premier rendez-vous. Alors j’ai demandé « Je ne comprends pas pourquoi ça te vexe que je t’invite ? »
Non mais moi c’est dans ma culture de partager au premier rendez-vous. La galanterie fait rêver, c’est très charmant, mais au bout du compte c’est un sexisme bienveillant. Indirectement, la femme est infériorisée. Moi je suis indépendante. Tu dois trouver ca extrême comme façon de penser, mais c’est comme ca. [...] Louise continuait: parfois je regrette que la galanterie ait quasiment disparu de la Norvège, mais je préfère ça. Certains machos disent pour rigoler « ah elles ont voulu l’égalité. elles l’auront! Je leur donne raison, je paie ma part. "

Les héritiers des vikings, bien installés dans leur masculinité, ont su faire la part des choses, eux. Une évolution des mentalités allant de pair avec les politiques norvégiennes égalistaristes mises en place par le gouvernement dans les années 70. La première loi sur l'égalité femmes hommes date de... 1978.


Allez, les habitudes latines aux latrines, on passe à la modernité égalitaire !


Draguer en 2023, ça donne quoi ?


Pour terminer de façon plus légère, on passe en revue les sept tendances de drague en 2023. La journaliste Amber O'Connor s'est penchée sur la hype en décortiquant les études menées par le site de rencontre Bumble dans un article repris par le Mirror.



1/ L'Opencasting, ou comment accorder moins d’importance à l’apparence physique pour 38% des sondé.e.s.


2/ Le Guardrailing, mode protection enclenché : être plus clair.e. sur ses besoins émotionnels et ses limites


3/ La Love-life balance, privilégier l'équilibre entre vie personnelle et professionnelle.


4/ Le Wanderlove, l'amour à distance, fréquenter quelqu'un qui n'habite pas nécessairement la même ville que soi.


5/ New Year, new me(n) : Plus de la moitié des utilisateurs de Bumble (52%) luttent activement contre le stéréotype selon lequel les hommes ne doivent pas exprimer leurs émotions, de peur d’être perçus comme faible. 1 utilisateur sur 3 (38%) parle désormais plus ouvertement de leur ressenti avec leurs partenaires masculins et la moitié des hommes sondés (49%) reconnaissent que casser les codes des genres dans le domaine des relations leur bénéficie aussi.


6/ Dating Renaissance, nouvel amour pour une nouvelle vie : une personne sur 3 parmi les utilisateurs de Bumble a divorcé ou mis fin à une relation de longue durée dans les deux dernières années. Un nouveau chapitre à écrire !


7/ Ethical Sex-ploration, dépasser les tabous autour du sexe et parler ouvertement de nos besoins et nos habitudes sexuelles assez rapidement dans la relation : pas de malentendu, plus de respect.. et de plaisir !





Alors la nouvelle drague, la drague éthique, on vote pour ! D'autant que le chemin est encore long... Rappelons tout de même qu'en Suisse, le harcèlement sexuel est le plus fréquemment vécu dans la rue (56% des femmes harcelées) et dans les transports publics (46%), selon une étude publiée en mai 2019 par Amnesty International. En France, 81% des françaises ont déjà été confrontées au cours de leur vie à au moins une forme d’atteinte ou d’agression sexuelle dans la rue ou les transports en commun, selon l'Observatoire du harcèlement sexuel.

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