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Apprendre à (s)’aimer : amours propres, la petite histoire d’un grand sentiment



Amour-propre, qu’y a-t-il de mal à s’aimer soi-même ? Décortiquons ensemble l’histoire et les sens de cette expression aux multiples facettes pour comprendre les enjeux de l’Amour de soi dans notre société… Petit manifeste pour la réhabilitation d’un sentiment qui fait couler beaucoup d’encre.


Définissons : L’amour-propre, un sentiment à la sale réputation


Il n’y a qu’à ouvrir le dictionnaire à la page de l’entrée « amour » pour le constater : l’amour-propre, flirtant avec l’égo(ïsme) et l’orgueil, c’est sale. Pourtant, comment une si jolie expression alliant le nom « amour » et l’adjectif « propre », qui font écho à la pureté, peut-elle dériver ?


Le Larousse nous dit que l’amour-propre est, au sens premier, le « Sentiment qu’on a de sa propre valeur, de sa dignité, et qui pousse à agir pour mériter l’estime d’autrui. » En ce sens, il est synonyme de dignité, de fierté. C’est aussi une « Opinion trop avantageuse qu’on a de soi-même. » Un synonyme de fatuité, de prétention.



L’amour-propre, dans ses deux acceptions, est antonyme d’humilité et de modestie (notons aux passages deux qualités largement attribuées… aux femmes qui ont l’art et le devoir de s’effacer dans la société patriarcale).


L’amour-propre n’est donc pas exactement le fait de s’aimer soi-même, avoir l’amour de soi mais l’opinion que l’on a de soi à travers les yeux des autres. On flirterait donc plutôt avec l’orgueil et le fait de cultiver son amour-propre reviendrait à apprécier de « se faire caresser dans le sens du poil », flatter son égo ou celui des autres en attendant un retour à la manière du renard de La Fontaine, ne pas risquer de « blesser son amour-propre ». Faux-semblants en tous genre, nous voilà !


Un peu de bienveillance lexicale maintenant car l’amour-propre, selon Le Trésor de La Langue Française numérique, le TLFI, c’est aussi « les droits et les devoirs » qui « découlent de la conscience aiguë qu’une personne a de sa dignité ». L’amour de soi est légitime en ce qu’il nous fait prendre conscience de notre dignité, de nos capacités personnelles et de la nécessité de le faire prospérer vis-à-vis des autres aussi bien dans le domaine professionnel que dans son couple. Une ambition légitime, donc !


L’amour-propre, un masque essentiellement social ?


Au XVIIIème, alors que les philosophes entendent mettre en « Lumière » la connaissance et lutter contre l’obscurantisme et l’intolérance, Jean-Jacques Rousseau, dans son approche philosophique de l’évolution de l’homme naturel vers l’homme social consacre de longs passages de ses écrits à l’amour-propre, notamment dans le Discours sur les fondements et l’origine de l’inégalité parmi les hommes. Selon Rousseau, l’amour de soi est naturel ; l’amour propre naît quand à lui avec la société et l’ordre patriarcal dans lequel les plus violents et les plus habiles s’élèvent aux plus hauts rangs de la société.


La philosophe Céline Spector, professeure à l’UFR de Philosophie de Sorbonne Université, membre honoraire de l'Institut Universitaire de France commentait au micro d’Adèle van Reth la naissance de l’amour propre évoquée dans le Discours lors de son passage sur France Culture dans les chemins de la philosophie :


« Dès que les hommes, sortis du pur état de nature, commencent à se rapprocher, ce que Rousseau appellera « la société naissante », […] ils vont commencer à éprouver des préférences et notamment des préférences amoureuses. Au fond, alors que l’amour était au départ indistinct, ou relevait simplement de l’instinct, n’importe quelle femelle est bonne pour le sauvage, l’amour va prendre une dimension morale et s’accompagner nécessairement d’une forme de préférence et c’est alors qu’il va falloir paraître plus beau, plus éloquent, plus adroit, plus agile, avoir un mérite supérieur à autrui pour pouvoir gagner l’élection, le cœur de celle que l’on convoite. »



On note au passage comment la femme – encore elle ! –, cette empoisonneuse originelle, vient pervertir l’homme en le poussant à PARAÎTRE plutôt qu’à ÊTRE dans sa démarche de séduction. Merci, Jean-Jacques. C’était il y a presque 300 ans… Donnons donc à ce penseur « mâle », le bénéfice de l’époque. Aujourd’hui, c’est différent, hein ?




Sans amour-propre, je me sens sale !


Obnubilés par l’idée d’exister aux yeux des autres, de soigner notre réputation, on en oublierait de s’aimer : pourtant être égoïste, ça a du bon ! Encore davantage lorsque l’on est une femme. Alors oui, ça va faire grincer des dents mais l’abnégation, dans une société patriarcale où la femme est définie par son sacrifice, c’est non ! C’est en étant à l’écoute de sa petite voix intérieure, conscient de sa valeur que l’on existe véritablement. Alors « Sois-belle et tais-toi », on oublie tout de suite !


Dans notre société patriarcale où l’autorité est toujours détenue par l’homme, on enseigne à la femme depuis la plus tendre enfance à faire passer les autres avant soi-même. La journaliste Mona Chollet, dans son essai Réinventer l’amour le souligne très bien :


« le monde tourne beaucoup trop grâce au dévouement féminin, et beaucoup trop de gens en abusent »

L’amour-propre, c’est un enjeu pour toutes les femmes : Interrogée par Claire Le Lièvre pour le média Le Globeur, une jeune étudiante chilienne de la Faculté d’Art de l’Université Playa définit à merveille l’amour-propre d’une jeune femme moderne militant pour les droits des femmes. En mai 2018, un mouvement étudiant féministe avait entrepris d’occuper plusieurs dizaines d’universités du Chili en réaction à de nombreux cas de harcèlements, de violences et d’abus de pouvoir observés dans le monde universitaire.


« Je pense qu’être féministe, c’est avoir de l’amour propre, un amour propre à élever face à une discrimination de genre.
C’est de l’amour propre car ça concerne notre corps, ça en fait un territoire, notre territoire, qui fut colonisé et exploité. Il s’agit donc de revendiquer ce territoire de sorte à pouvoir en prendre soin, l’alimenter, lui donner les choses vitales, mais aussi lui permettre ce que la morale ou l’éthique lui interdisent.»



OUI, il est grand temps de penser à soi : connectez-vous à vous-même, prenez du temps pour cultiver votre moi intérieur… c’est une affaire d’amour-propre bien placé !

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